Voyage au cœur des chiffres : la production bio en Alsace décryptée

Longtemps confidentiel, le bio a connu une véritable accélération depuis les années 2010. Fin 2022, l’Alsace comptait près de 2 050 exploitations agricoles engagées dans l’agriculture biologique (source : Agence BIO, Panorama 2023), soit plus du double du chiffre observé il y a dix ans. Cela représente 16,7 % de l’ensemble des exploitations d’Alsace, contre seulement 7 % en 2013.

• Superficie totale en bio (2022) : près de 61 000 hectares, incluant en conversion
• Part du bio dans la SAU alsacienne : 14,9 % (contre 10,7 % au niveau national)
• Répartition géographique : le Bas-Rhin concentre 54 % des surfaces bio, le Haut-Rhin 46 %

Cette dynamique met l’Alsace parmi les régions françaises les plus engagées, avec la Bretagne ou l’Occitanie. Mais c’est surtout la viticulture qui porte cette croissance.

Dans un paysage viticole où la tradition rime souvent avec innovation, la conversion au bio s’est opérée à grande échelle. Quelques chiffres pour situer l’Alsace parmi les championnes françaises :

• En 2022, 35 % des surfaces viticoles alsaciennes sont conduites en bio ou en conversion (source : Interprofession des Vins d’Alsace/CIVA, données 2023).
• À titre de comparaison, la moyenne nationale s’établit à 19 %.
• Près de 515 domaines et caves ont adopté les pratiques biologiques ou biodynamiques. Ce tissu reste très majoritairement familial et composé de domaines de moins de 15 ha.

Cette proportion fait de l’Alsace le deuxième bassin bio de France en superficie de vigne, juste après le Languedoc. Au-delà du chiffre, c’est tout un paysage de villages viticoles qui se transforme, où le cuivrier bio croise l’arracheuse mécanique et où les composts maison remplacent l’engrais chimique.

Le basculement historique de la décennie 2010

Entre 2011 et 2021, la surface de vigne bio a été multipliée par plus de trois : de 1 580 ha à plus de 5 050 ha. De nombreux domaines emblématiques (Domaine Josmeyer à Wintzenheim, Marcel Deiss à Bergheim…) ont joué un rôle de locomotive, mais la vague touche désormais tous les profils — y compris les coopératives majeures comme Wolfberger.

Si la notoriété du bio alsacien s’est bâtie sur la vigne, les autres grandes filières n’ont pas été en reste. Voici ce que révèlent les statistiques récentes :

• Grandes cultures (blé, orge, maïs) : près de 14 000 ha en bio, soit +85 % en 10 ans (source : CRA Grand Est, 2023). Toutefois, la part reste inférieure à 8 % des surfaces céréalières régionales, preuve d’un potentiel de progression important.
• Le maraîchage bio : plus de 1 320 ha recensés, les trois-quarts en plaine d’Alsace, avec une forte dynamique autour de Strasbourg, Colmar, Sélestat.
• Arboriculture bio (pommes, poires, mirabelles): 540 ha, soit environ 10 % du verger alsacien, la pomme restant la locomotive.

Le bio alterne entre filières très dynamiques (arboriculture, maraîchage de proximité) et secteurs où la conversion souffre encore du manque de débouchés, parfois de freins techniques (comme dans le maïs irrigué ou la pomme de terre).

La production bio n’est plus un “mini-segment” : elle représente aujourd’hui près de 11 % de la valeur ajoutée agricole alsacienne (source : Chambre d’agriculture Alsace, rapport 2022). Les retombées sont multiples :

• Près de 3 000 emplois directs bio (hors saisonniers), majoritairement dans la vigne, le maraîchage et la transformation (brasseries, fromageries, viande…)
• 120 marchés de producteurs bio hebdomadaires recensés dans la région, dont certains très anciens (celui de Place Broglie à Strasbourg existe depuis 1977)
• Une filière en constante structuration : plus de 95 entreprises de transformation certifiées bio recensées en 2022

Les ventes directes représentent 54 % du chiffre d’affaires du bio régional — un record national, conséquence d’un tissu de consommateurs très attachés au “produit local”. Les circuits longs (magasins spécialisés, restauration collective, distribution) progressent lentement, mais accusent un retard sur d’autres régions.

Si la croissance exceptionnelle de la décennie passée a propulsé l’Alsace parmi les leaders du bio, quelques tendances majeures se dessinent :

• La stabilisation des conversions : Après des années de forte dynamique, le rythme des nouvelles exploitations bio tend à se tasser depuis 2022, une situation nationale (voir Agence BIO).
• Défis climatiques et économiques : La gestion de la sécheresse, la diversification des revenus (agritourisme, circuits courts), la pression des coûts de production constituent autant de sujets brûlants.
• L’évolution de la demande : Si la consommation a fait un bond notable après 2019, une baisse de régime s’observe depuis 2022, surtout en GMS. En revanche, la restauration collective et l’export affichent des signaux positifs.
• Le poids de la biodiversité : L’Alsace, qui abrite le plus grand nombre de haies bocagères de France (source : Observatoire Agricole de la Biodiversité) fait figure de modèle, mais les risques de recul existent.

Qu’ils soient maraîchers, grands céréaliers ou vignerons passionnés, les producteurs bio alsaciens ont changé la physionomie agricole de la région en une décennie. De 3 % des surfaces agricoles en 2008 à quasiment 15 % aujourd’hui, l’évolution est spectaculaire — et unique pour une grande région viticole française. Si la courbe des conversions tend à se stabiliser, la transformation du paysage est profonde : des campagnes moins chimiques, une alimentation locale renforcée, et des domaines viticoles portés par de nouveaux profils, plus jeunes, plus ouverts à la polyculture.

L’Alsace, plus que jamais, s’affirme comme un laboratoire vivant du bio français. Un territoire où observer la suite de l’histoire… et continuer à scruter les chiffres derrière les étiquettes !

Sources: Agence BIO, Interprofession des Vins d’Alsace (CIVA), Chambre d’Agriculture Alsace, CRA Grand Est, Observatoire Agricole de la Biodiversité.