Vendanges manuelles ou mécaniques : enjeux et réalités en viticulture biologique alsacienne

30 octobre 2025

Petite histoire de la vendange : deux approches, deux mondes

La vendange – action ancestrale, moment culminant du cycle de la vigne – a longtemps été exclusivement manuelle. Il faudra attendre la fin des années 1970 pour voir arriver les premières machines à vendanger en France, d’abord dans les vignobles vastes du Bordelais et du Languedoc. Aujourd’hui, selon l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV, 2022), près de 60 % des surfaces viticoles françaises sont récoltées mécaniquement, mais ce pourcentage chute à moins de 20 % dans les AOC alsaciennes, et à moins de 10 % dans les exploitations bio alsaciennes certifiées (source : AgroBio Alsace).

  • Vendanges manuelles : Les grappes sont coupées une à une au sécateur, déposées délicatement dans des caisses ou des hottes. Cette méthode privilégie la précision, le tri à la parcelle et la préservation du raisin.
  • Vendanges mécaniques : Des machines tractées équipées de secoueurs détachent les baies, qui sont collectées puis transportées en benne. Le gain de temps est considérable, mais certaines subtilités échappent à la mécanique.

Quel impact sur la qualité du raisin et du vin ?

La vendange manuelle, alliée des vins fins et de la vinification nature

L’un des atouts majeurs de la vendange manuelle, c’est le tri sélectif : chaque vendangeur écarte les grappes abîmées ou insuffisamment mûres. Cela se révèle fondamental en bio, où l’absence de traitements synthétiques accroît la variabilité d’un pied de vigne à l’autre. Les raisins arrivent sains au chai, intacts, sans écrasement prématuré, évitant ainsi toute oxydation ou fermentation indésirable (Référence : Vignerons Indépendants de France).

  • Un raisin pas ou peu blessé – donc un potentiel aromatique préservé : c’est ce qui permet d’obtenir des vins élégants, fruités, d’une grande finesse.
  • La macération en grappes entières, très prisée en bio et nature (en particulier pour le Pinot Noir alsacien), n’est possible qu’avec une vendange soigneusement coupée à la main.
  • Pour les vins effervescents ou les sélections parcellaires (Grands Crus, Vendanges Tardives, etc.), la vendange manuelle est tout simplement obligatoire par cahier des charges.

Vendange mécanique : rapidité et efficacité, mais à quelles conditions ?

La machine à vendanger apporte un avantage indéniable : la vitesse. Selon les fabricants, une machine moderne peut couvrir jusqu’à 1,5 hectare par heure, contre environ 0,10 à 0,25 hectare par jour pour une équipe de 10 vendangeurs (source : IFV 2022). Pour des exploitations plus grandes ou pour faire face à une météo capricieuse, c’est souvent une question de survie économique.

Cependant, même les modèles équipés de systèmes de tri embarqué n’atteignent jamais la précision de l’œil humain : feuilles, baies immatures, insectes et parfois morceaux de sarments se retrouvent dans la benne. Le raisin tombe souvent de la rafle, s’écrase, libère son jus : le risque d’oxydation ou de début de fermentation augmente, ce qui peut être préjudiciable pour les vinifications sans intrants, prisées en bio (voir LRVF, 2021).

Tableau comparatif : ce que l’on gagne et ce que l’on perd

Méthode Qualité du raisin Tri Potentiel aromatique Adaptée à quels vins ?
Manuelle Excellente Précis, humain Maximum préservé Grands Crus, nature, macération
Mécanique Variable Mécanique, moins précis Risque perte aromatique Assemblages, volumes importants

Biodiversité, sol et impact environnemental : des choix structurants

Vendanges et respect de la biodiversité : deux philosophies en tension

En agriculture biologique, préserver la biodiversité est un pilier. Sur ce point, la vendange manuelle a plusieurs atouts :

  • Pas de tassement du sol ni de destruction accidentelle de la faune auxiliaire (lombrics, insectes, etc.) – contrairement à certains passages de machines qui peuvent peser jusqu’à 8 tonnes à vide (!).
  • Possibilité d’épargner les haies, talus, vieux ceps : une main humaine contourne ce qu’une machine ne peut souvent qu’ignorer ou endommager.
  • En cas de présence de nids (oiseaux, hérissons), la vendange manuelle permet un respect accru de la faune locale.

Les machines modernes font des progrès : certains modèles disposent désormais de pneus basse pression limitant la compaction du sol, mais cet atout reste à nuancer face au passage répété de matériel lourd sur des terrains argilo-calcaires sensibles à la battance (Rapport INRAE, 2020).

Consommation d’énergie et empreinte carbone

  • La vendange mécanique sollicite du carburant (environ 2,5 L/hectare, hors transport des bennes – IFV 2021), alors que la vendange manuelle repose sur la force humaine… mais implique le déplacement des personnes et parfois leur hébergement.
  • Globalement, sur petites surfaces, la vendange manuelle reste la moins énergivore et la plus faible en émission de CO₂ (voir étude AgroParisTech 2018). Sur de très grandes surfaces (plus de 30 ha), l’écart tend à se réduire.

Un impact social et économique différent

Les vendanges restent le plus important employeur agricole saisonnier en Alsace : en 2022, près de 20 000 emplois ont été créés le temps de la récolte (source : France Bleu Alsace). La vendange manuelle préserve ces emplois, assure un contact humain précieux avec la vigne et le terroir : fidélisation, transmission de gestes, convivialité.

Du côté des coûts, la balance n’est pas si évidente : payer une machine représente un investissement entre 120 000 et 250 000 € neuf, ou autour de 12 000 € la prestation à façon sur une moyenne propriété (10-12 ha), contre 150 € à 180 € de main-d’œuvre/ha pour la vendange manuelle (source : Vitisphere). Mais seule la vendange manuelle répond à l’attente de segments premium, là où la mécanique vise souvent l’équilibre sur des volumes.

Pourquoi la bio alsacienne privilégie-t-elle les vendanges manuelles ?

Le contexte géographique de l’Alsace est déterminant : beaucoup de parcelles sont pentues, étroites, voire en terrasses, rendant le passage de machines difficile, parfois dangereux. Le cahier des charges des Grands Crus impose de toute façon la vendange manuelle – un gage de qualité pour 51 terroirs d’exception.

Mais c’est aussi une affaire de convictions : les vignerons bio alsaciens tiennent à exprimer toute la finesse du terroir, la différence entre un Riesling du granit de Dambach-la-Ville ou du calcaire d’Hunawihr, en passant par le grès des collines sous-vosgiennes. La main humaine, ses choix, sa sensibilité, restent irremplaçables pour préserver cette diversité.

Quelques chiffres clés à retenir

  • En 2023, 83 % des domaines bio d’Alsace ont opté pour des vendanges 100 % manuelles sur tout ou partie de leur exploitation (source : OPABA).
  • Un vendangeur coupe en moyenne 400 à 600 kg de raisin par jour, soit de quoi produire 280 à 420 bouteilles… une réalité tangible du soin apporté à chaque grappes.
  • 60 % des machines à vendanger actuelles datent d’avant 2012 – signe qu’elles restent surtout cantonnées au conventionnel ou aux parcelles très accessibles (source : IFV).

Vendanges : quelle évolution à venir ?

Si la rentabilité pousse certaines exploitations bios de grande taille à hybrider les pratiques (vendanges manuelles pour les meilleures parcelles, mécaniques pour les volumes), la tendance générale en Alsace reste à la main, portée par la volonté de produire des vins authentiques et représentatifs. Les avancées techniques des machines, en tri, respect du sol ou réduction de bruit, ne remplaceront jamais totalement le regard du vendangeur et le tri sélectif à la coupe.

Ce choix, chaque vigneron bio l’exprime année après année – non par nostalgie, mais parce que la singularité du terroir alsacien, ciselée par des siècles d’observation et de respect, est mieux servie, aujourd’hui encore, par la main que par la machine.

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