Dans les coulisses des vendanges et de la vinification en agriculture biologique en Alsace

26 octobre 2025

Premiers jours d’automne : l’effervescence du vignoble

En Alsace, il suffit de quelques matinées brumeuses de septembre pour transformer la vallée en une ruche bourdonnante d’activité. Le frémissement des rangs de vignes, les sécateurs qui claquent, les bennes remplies de grappes dorées… Les vendanges s’annoncent comme le sommet d’une année entière d’efforts, de doutes et d’observations patientes. En viticulture biologique, ce moment symbolise plus que jamais l’engagement du vigneron envers la terre, la plante et ceux qui dégustent le vin. Mais comment ce rituel ancestral s’adapte-t-il aux exigences du bio ?

Vendanger en bio : entre exigences et respect du vivant

Les vendanges en bio diffèrent dès le choix de la date de récolte. Ici, les décisions se prennent à la parcelle, au plus près du raisin. L’absence de produits chimiques de synthèse, la vivacité des sols travaillés au naturel et la fragilité relative des grappes imposent une vigilance accrue.

  • Observation quotidienne : La maturité se juge à la couleur, au goût, mais aussi à la résistance des pellicules, car en bio, celles-ci ne sont pas « durcies » par certains fongicides autorisés en conventionnel.
  • Récolte manuelle majoritaire : Selon Inter Bio Alsace, près de 80% des domaines certifiés bios optent pour le ramassage à la main, pour une sélection plus fine des baies et une moindre trituration, limitant ainsi oxydation et contaminations microbiennes (Inter Bio Alsace).
  • Gestion de la météo : Un orage, une averse : le vigneron n’a pas la « sécurité » de certains traitements, il doit donc réagir vite pour éviter la pourriture grise, mais aussi composer avec une faune microscopique parfois plus diversifiée (levures indigènes, bactéries) que dans des vignes traitées chimiquement.

Fait marquant : la viticulture biologique, en Alsace comme ailleurs, nécessite en moyenne 20 à 30% de main d’œuvre supplémentaire au moment des vendanges par rapport au conventionnel (source : Observatoire des métiers du Vin, 2021). Ce chiffre traduit à la fois la part des récoltes manuelles et la sélection plus soignée des grappes nécessaires en bio.

L’importance capitale du tri : qualité sans compromis

Dans le bio, chaque grappe compte et chaque poignée de raisin récoltée est triée avec rigueur. Le tri s’effectue parfois à la parcelle (directement dans la vigne), mais fréquemment à la cave, sur une table dédiée.

  • But principal : Éliminer les baies abîmées, atteintes de pourriture, voire insuffisamment mûres, qui pourraient déséquilibrer l’expression du terroir.
  • Anecdote locale : Certains domaines, notamment autour de Colmar, installent des tables de tri sur le quai du pressoir, mobilisant familles et saisonniers pour ce contrôle ultime, souvent rythmé par des chansons traditionnelles… et beaucoup de café chaud !

Ce souci du détail reflète la philosophie bio : faire confiance à la qualité intrinsèque des raisins, sans chercher à « corriger » plus tard en cave ce qui peut être évité à la vigne.

Du raisin au pressoir : physiques, douces, patientes

  • Presse lente, douce : Dans la tradition alsacienne, on utilise encore fréquemment des pressoirs pneumatiques à basse pression, ou les fameux pressoirs « vertical bois », bien adaptés à la délicatesse souhaitée en bio. La pression lente évite d’extraire les composés végétaux amers, favorisant finesse et pureté aromatique.
  • Pas de chaptalisation systématique : La réglementation européenne du bio autorise la chaptalisation (ajout de sucre), mais dans les faits, celle-ci est bien moins courante qu’en conventionnel car la gestion du sol vivant favorise souvent une maturité aboutie (source : Agence Bio). En Alsace, la majorité des bios s’interdisent tout ajout, considérant que le vin doit tirer sa force du raisin et du soleil seuls.
  • Moins d’intrants : L’utilisation de produits œnologiques est drastiquement limitée. L’acide ascorbique (vitamine C), les tanins œnologiques, les enzymes de clarification ne sont utilisés qu’à dose homeopathique, ou pas du tout. La réglementation bio (Règlement UE 2018/848) fixe la liste et la quantité maximale de ces additifs.

Fermentation : la magie du vivant à l'œuvre

La fermentation en viticulture biologique met en valeur la diversité des levures indigènes présentes sur la peau du raisin et dans l’environnement de la cave. C’est à ce stade que le choix du vigneron compte énormément : il peut soit lancer une fermentation « naturelle », soit procéder à un levurage (ajout de levures sélectionnées bio).

  • Ferments naturels dominants : Près de 60% des domaines bios alsaciens laissent agir les seules levures indigènes, offrant des vins d’une grande complexité (source : Syndicat des Vignerons Indépendants d’Alsace).
  • Température surveillée : Les températures sont contrôlées pour éviter déviations et fermentations ralenties, mais rarement abaissées de façon techniciste. Le but est d’accompagner le vivant, non de le contraindre.
  • Sulfitage minimal : Le vin bio se distingue par une dose moyenne de SO₂ (soufre) deux à trois fois inférieure à celle admise en conventionnel (INAO). Pour un vin blanc sec : max. 100 mg/l contre 200 mg/l en conventionnel. Certains bios vont encore plus loin et éliminent tout ajout de soufre.

Élevage : exprimer le terroir sans fard

L’élevage en cuve, foudre alsacien en bois ou même en amphore – une tendance croissante chez les bios d’Alsace – a pour but de préserver la pureté de l’expression variétale et la netteté aromatique du vin. Le bois neuf est rarement de mise : il risquerait de masquer la typicité recherchée.

  • Bâtonnage modéré : L’agitation des lies est pratiquée avec parcimonie pour préserver la vitalité du vin mais éviter tout excès de lourdeur.
  • Stabilité sans tricher : Pas de « flash pasteurisation », peu ou pas de collage (utilisation de protéines ou d’argiles pour clarifier), filtration légère juste avant la mise, voire aucun traitement si les conditions sanitaires le permettent.
  • Durée adaptée au vin : Certains Rieslings bios sont élevés sur lies fines plus de 12 mois, développant ainsi une texture en bouche très recherchée tout en conservant fraîcheur et tension aromatique (cf. recherches de l’INRAE de Colmar sur l’impact de l’élevage sur lies fines).

Les enjeux sanitaires et environnementaux : adapter sans cesse sa pratique

La vinification bio suppose une hygiène irréprochable, faute de pouvoir « stabiliser » le vin par des produits de synthèse. Le nettoyage des cuves, pressoirs et matériel se fait à l’eau chaude, à la vapeur, parfois à l’ozone ou à l’eau électrolysée, bannissant la javel ou les désinfectants chimiques nuisibles aux levures utiles. L’objectif : garantir un vin pur, vibrant, qui ne dénature ni le cépage ni le sol d’origine.

Le bio, enfin, inscrit la cave dans un cercle environnemental vertueux : eaux usées traitées, déchets de marc compostés ou valorisés en énergie, limitation du plastique et des consommables… Selon la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique, une cave bio diminue en moyenne de 35% ses émissions polluantes (eaux usées résiduaires notamment), comparée à une cave conventionnelle mal équipée.

Regard vers l’avenir : innovation et transmission

Chaque millésime bio est une synthèse de la météo, du sol, du cépage… mais aussi de dizaines de choix quotidiens, parfois invisibles, du vigneron. L’ancrage dans la tradition alsacienne se double aujourd’hui d’innovations : essais sur l’absence totale d’intrants, expérimentation d’amphores ou de cuves en terre cuite, recherche d’une expression encore plus pure du terroir et de pratiques toujours mieux respectueuses de l’environnement.

Ce retour à la simplicité et au naturel, paradoxalement, exige un savoir-faire accru, et une observation constante. Il raconte une histoire authentique, où chaque vin porte la signature du climat, du sol et du vigneron. Voilà peut-être la vraie richesse de la viticulture biologique : proposer une autre vision du vin, vivante, vibrante, et toujours en mouvement.

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