Les avancées concrètes des substituts naturels en viticulture : bilan et perspectives

24 octobre 2025

Comprendre la place des substituts naturels en viticulture contemporaine

Face à la pression des maladies cryptogamiques et au besoin de réduire l’empreinte chimique, la viticulture européenne s’est engagée depuis plus de 15 ans dans une transition vers des solutions alternatives. Les produits de synthèse, dont le cuivre et le soufre font partie depuis le XIXe siècle, sont aujourd’hui remis en question pour leur impact environnemental. L’essor des pratiques biologiques et biodynamiques, particulièrement marqué en Alsace (17 % des surfaces en bio en 2022, selon l’Agence Bio), stimule la recherche sur des substituts naturels à ces fongicides historiques.

Mais que sait-on en 2024 de leur efficacité réelle ? Quels sont les résultats tangibles obtenus en parcelles expérimentales ou sur le terrain, tant chez nous qu’ailleurs ? Ces alternatives, parfois issues de la tradition, parfois fruit d’une innovation biotechnologique, sont-elles à la hauteur des espoirs placés en elles ?

Inventaire des principales familles de substituts naturels testées sur la vigne

Les recherches menées ces dernières années ciblent plusieurs grandes familles de substances ou de techniques :

  • Les stimulateurs de défenses naturelles (SDN) : extraits d’algues (Laminarine), d’orange douce, de saule, de luzerne, chitosan, ou silicates ;
  • Les micro-organismes bénéfiques : bactéries du genre Bacillus, Trichoderma, Pythium, parfois utilisés en association ;
  • Les huiles essentielles et extraits végétaux : origan, thym, ail, prèle, consoude, et récemment mélisse ou romarin ;
  • Les décoctions et tisanes traditionnelles : prèle, ortie, fougère, qui sont utilisées en prévention et en association avec d’autres produits en bio ;
  • Les argiles, kaolins et poudres minérales : utilisées comme barrières physiques contre certains ravageurs et maladies ;
  • Les nouveaux agents à base de levures ou de peptides : innovations récentes, parfois issues de la recherche en œnologie.

L’efficacité, l’impact sur l’environnement et la spécialisation selon le pathogène visé varient énormément selon ces alternatives.

Focus sur les stimulateurs de défense naturelle : promesses et limites

Des résultats contrastés en conditions réelles

Dès les années 2010, la laminarine (extrait d’algue brune) a été reconnue par l’INRAE pour sa capacité à activer les défenses de la vigne contre le mildiou (Plasmopara viticola) (INRAE). Les essais sur cépage Riesling en Alsace montrent en conditions contrôlées jusqu’à 50 % de réduction du développement de la maladie en utilisation combinée avec du cuivre, contre 20 à 30 % seule.

De la même manière, l’extrait de saule — riche en salicyline — testé en Champagne et dans le vignoble bordelais, a permis de réduire l’intensité des attaques d’oïdium jusqu’à 40 % comparé au témoin non traité (données IFV 2022). Ces chiffres restent toutefois très inférieurs à ceux observés avec les doses maximales de cuivre ou de soufre. Autrement dit, les SDN sont efficaces en préventif et dans des contextes de faible pression maladie, mais rarement suffisants seuls lors d’années très contaminantes.

Points forts, points faibles :

  • Points forts : Aucun résidu, non toxiques pour l’homme et le sol, intérêt en stratégie de réduction des doses de cuivre (objectif « zéro-couverture » d’ici 2030 dans plusieurs AOC).
  • Limites : Effet variable selon les cépages, le climat et la fréquence d’application ; coût supérieur au mildiou (Réussir Vigne).

La révolution tranquille des micro-organismes bénéfiques

Depuis 2016, les travaux menés par l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin) et Agrisud sur Bacillus subtilis ou Trichoderma spp. sur cépages alsaciens montrent une réduction des dégâts d’oïdium de l’ordre de 30 à 45 % en conditions champ, avec une efficacité améliorée lorsqu’ils sont combinés à des SDN. L'usage des micro-organismes, homologué en bio, séduit par sa capacité à limiter l’installation du pathogène sans perturber la faune auxiliaire.

  • Efficacité : Les applications de Bacillus subtilis (souche QST713) offrent des résultats constants en prévention sur Pinot Gris et Gewurztraminer, deux cépages sensibles.
  • Actions complémentaires : Compétition pour l’espace sur la feuille, production locale de substances antifongiques, induction des défenses naturelles.
  • Contraintes : Précision d’application (toutes les 7 à 10 jours en période de risque), dépendance forte à la météo (pluies lessivent rapidement les spores, ce qui impose des ré-applications fréquentes).

Le coût de ces solutions est pour l’instant supérieur — de l’ordre de 90 à 150 €/ha en Alsace sur une campagne — mais plusieurs essais pluriannuels montrent qu’un pilotage fin des applications (en combinant observation sur le terrain et modèles météo) permet de réduire jusqu’à 30 % le nombre d’interventions fongicides totales (Vigne Vin Occitanie).

Les huiles essentielles et extraits végétaux : l’arsenal naturel retrouve des couleurs

L’intérêt pour les huiles essentielles — longtemps freinée par la réglementation française pour leur aspect « non spécifique » — fait un retour en force. En 2023, plusieurs essais menés par l’INRAE Colmar et la station de Bergheim (source INRAE) ont montré qu’un mélange thym-romarin-ail vaporisé sur les parties aériennes diminue de 60 % les contaminations par le botrytis sur Pinot Noir.

Les huiles d’orange douce, utilisées en biocontrôle, modèrent aussi les attaques de black-rot, mais leurs performances restent inconstantes sous forte pression fongique. Leur action fongistatique, plus que fongicide, implique de répéter les traitements à intervalles très rapprochés (5 à 8 jours) lors des périodes critiques de floraison et de fermeture de la grappe.

Questions de phytotoxicité et de résidus :

  • Des observations sur Riesling et Sylvaner ont montré que des doses excessives d‘huile essentielle de thym peuvent provoquer des brûlures foliaires et altérer la photosynthèse de la vigne.
  • Aucun résidu détecté dans les moûts depuis 2021 lors des vinifications expérimentales (source : essais IFV Colmar).

Argiles, kaolins : plus efficaces contre les ravageurs que contre les maladies

L’épandage d’argile (kaolin, bentonite) a prouvé limpidement son intérêt contre la cicadelle de la flavescence dorée et certaines attaques de tordeuses. En revanche, leur rôle vis-à-vis du mildiou ou de l’oïdium reste marginal : leur principal effet est mécanique (barrière physique) et non biochimique. Ils sont donc d’une efficacité limitée en année humide ou sur des cépages à feuillage dense.

  • Chiffres-clés : Baisse de 45 % des dégâts de cicadelle en parcelle pilote à Dambach-la-Ville sur millésime 2022 (source : Chambre d’Agriculture du Bas-Rhin).
  • Limites : Nécessité de renouveler après chaque lessivage, coût main-d’œuvre non négligeable, peu adaptées aux grandes surfaces non mécanisables.

L’intégration de ces solutions dans les systèmes alsaciens : retours de terrain

Stratégies mixtes et adaptation millésime par millésime

  • Sur le plateau de Mittelbergheim, plusieurs domaines pratiquent une alternance : 2 traitements cuivre à la dose réglementaire, 4 à base de SDN + Bacillus, 2 décoctions de prèle en saison.
  • En conditions de forte pression (2016, 2018), il a fallu parfois majorer les passages cuivre, la protection naturelle seule limitant insuffisamment le mildiou.
  • Tendance à la baisse des IFT (Indice de Fréquence de Traitement) : moyenne régionale en bio abaissée à 8,6 en 2021 contre 11,2 en 2012 (source : Chambre d’Agriculture Grand Est).

Facteurs de réussite ou d'échec identifiés

  • Choix du cépage, état de vigueur des vignes, microclimat et topographie de la parcelle : tous influent sur l’efficacité finale des substituts naturels.
  • Formation et expertise dans le pilotage des interventions : les résultats sont meilleurs dans les exploitations engagées dans des groupes DEPHY et suivies par des techniciens de réseaux bio.
  • Importance du monitoring (piégeage, observations, modèles météo), qui conditionne l’agilité de la stratégie choisie. Les vignerons connectés obtiennent souvent de meilleurs résultats grâce à une détection plus précoce des périodes sensibles.

Des enjeux essentiels : réduire le cuivre, protéger la santé, préserver la typicité

Au-delà des seuls aspects agronomiques, le recours accru aux substituts naturels commence à produire des effets mesurables :

  • Qualité des moûts et des vins : la réduction du cuivre entraîne une moindre perturbation des fermentations alcooliques et une meilleure préservation des arômes variétaux, comme l’ont montré les essais du projet EcoVitiAlsace 2019-2022.
  • Santé des opérateurs : la baisse de l’exposition au cuivre élémentaire est confirmée par les analyses d’urine de travailleurs viticoles alsaciens (Santé publique France).
  • Respect de la réglementation : la législation européenne prévoit une baisse à 4 kg/ha/an de cuivre métallique d’ici 2025. Les alternatives naturelles sont donc incontournables pour la pérennité des domaines bio.
  • Préservation de la biodiversité du sol : les suivis de microfaune (lombrics, vers de terre) sur les parcelles à faible usage de cuivre montrent un bond de biodiversité (+35 % sur trois ans selon le projet BioVigne 2020-2023).

Entre incertitudes et optimisme raisonné : la recherche continue

Si aucun substitut naturel n’a encore permis de supprimer totalement l’usage du cuivre sur cépages très sensibles, l’association intelligente de différentes solutions, pilotée au plus près du vignoble et des risques météo, fait déjà ses preuves. Les prochaines années verront l’arrivée de nouveaux peptides de biocontrôle, une meilleure connaissance des synergies entre huiles essentielles et micro-organismes, et une montée en puissance de l’observation de terrain par les outils digitaux.

En Alsace, l’enjeu n’est pas seulement agronomique : il s’agit de conserver la typicité de nos terroirs, de produire des vins sains et expressifs, tout en réduisant l’empreinte sur l’environnement. La recherche, le collectif et l’échange entre réseaux de producteurs restent les meilleurs alliés pour transformer les résultats prometteurs d’aujourd’hui en pratiques d’avenir : la vigilance reste de mise, tout comme l’engagement pour un vignoble vivant et résilient.

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