Vigne enherbée : la biodiversité au cœur des rangs

6 octobre 2025

Pour une vigne vivante : pourquoi questionner l’enherbement ?

La pratique de l’enherbement séduit de plus en plus de vignerons alsaciens sensibles à la vitalité de leurs sols et à l’équilibre du vignoble. Mais que recouvre véritablement ce choix consistant à laisser pousser (ou à semer) de l’herbe et des plantes variées entre les rangs de vignes ? Plus que jamais, la question s’impose : cet enherbement dope-t-il réellement la biodiversité ou s’agit-il d’une promesse séduisante qui mérite d’être reconsidérée ?

L’enherbement dans le vignoble : de la tradition aux motivations contemporaines

L’enherbement, loin d’être une nouveauté, a longtemps été ignoré au profit du sol nu, considéré comme plus “propre”, plus facile à travailler et meilleur pour la productivité. Mais l’érosion des sols, la fuite des insectes auxiliaires et la prise de conscience écologique ont rebattu les cartes, particulièrement en agriculture biologique et biodynamique. Deux pratiques se côtoient :

  • L’enherbement spontané : on laisse la nature faire, les espèces présentes s’installent d’elles-mêmes.
  • L’enherbement semé : le vigneron implante un mélange de graminées, de légumineuses, voire de plantes à fleur, choisies pour leurs vertus agrotechniques ou écologiques.

Aujourd’hui, dans certains secteurs alsaciens, près de 60% des surfaces viticoles présentent des allées enherbées sur tout ou partie du rang (source : Chambre d’Agriculture d’Alsace, 2023). Les motivations principales ? Préserver les sols, améliorer la structure du sol, réduire l’usage d’herbicides… Et, de plus en plus, stimuler la richesse biologique.

Quels effets de l’enherbement sur la faune et la flore ?

La mosaïque végétale, nid de biodiversité

L’intérêt de l’enherbement réside d’abord dans la diversité végétale qu’il permet. Une bande herbeuse bien gérée offre refuge, nourriture et sites de reproduction à une multitude d’organismes. Plusieurs études menées en Alsace et ailleurs attestent de ce phénomène :

  • Les vignes enherbées hébergent jusqu’à 3 fois plus d’espèces florales que les parcelles labourées (Institut Français de la Vigne et du Vin, 2021).
  • La présence d’espèces à floraison étalée (trèfle, vesce, lotier) accroît la diversité des pollinisateurs. Un essai INRAE dans le Languedoc signalait une hausse de 40% du nombre d’abeilles sauvages dans les vignes enherbées par rapport à celles gérées en désherbage total.

Un “hôtel à insectes” grandeur nature

Chrysopes, coccinelles, syrphes... Un cortège d’insectes utiles s’installe dans ces micro-habitats dès que l’enherbement gagne en diversité et en pérennité. Ces auxiliaires régulent naturellement les ravageurs, limitant ainsi les traitements, même en bio. Un chiffre marquant : dans des essais menés en Bourgogne, on relève jusqu’à 2 fois plus de larves de syrphes (prédateurs de pucerons) dans les vignes enherbées.

  • La microfaune du sol n’est pas en reste : lombrics et microarthropodes prolifèrent sous une couverture végétale, participant à la décomposition de la matière organique et à l’aération du sol.
  • En Alsace, des suivis menés sur plusieurs domaines bio (source : OPABA, bilan 2022) montrent que la densité de vers de terre peut être multipliée par 1,5 à 2 dans les parties enherbées comparé aux interrangs nus.

L’enherbement, un levier pour la santé des sols et la stabilité des écosystèmes

Au-delà de la simple “vitrine verte”, l’enherbement entretient des services écosystémiques majeurs :

  • Réduction de l’érosion : la couverture végétale accroche les particules de sol et limite leur lessivage, essentiel sur les coteaux alsaciens où le risque d’érosion est réel après les orages.
  • Régulation hydrique : en améliorant la porosité du sol, les racines des plantes limitent le ruissellement, favorisent l'infiltration et maintiennent plus d’humidité lors des sécheresses courtes.
  • Maintien de la matière organique : la décomposition de la biomasse produite nourrit la vie souterraine et enrichit le sol en humus.
  • Limitation des maladies : en favorisant les microclimats secs au niveau du sol, certaines flores réduisent la pression de maladies fongiques comme le mildiou (source : Chambres d’Agriculture).

Des bénéfices qui ne vont pas sans défis : vigilance sur la gestion

L’enherbement n’est pas une solution “miracle” et demande une gestion fine pour éviter effets indésirables et déceptions. Quelques enjeux relevés sur le terrain :

  • Concurrence hydrique et minérale : en sols pauvres ou en années de forte sécheresse, l’enherbement peut rivaliser avec la vigne pour l’eau et les nutriments, d’autant plus en enherbement total. Selon l’IFV (2021), un surenherbement risque de diminuer la vigueur des ceps et le rendement de 10 à 20% en average.
  • Choix des espèces : une diversité adaptée est essentielle. Les espèces pérennes et fleuries (fétuque, trèfle violet, phacélie) profitent le mieux à la biodiversité, alors qu’un couvert de graminées pures est moins favorable.
  • Gestion de la hauteur : une flore laissée trop haute et dense peut héberger des ravageurs indésirables ou favoriser le développement de foyers de maladies. L’alternance de zones tondues et laissées fauchées est ainsi souvent pratiquée.
  • Effets variables selon les contextes : la réaction dépend du type de sol, du climat, du cépage, du mode de conduite. Ainsi, un domaine sur terroirs argilo-calcaires ne témoignera pas des mêmes succès qu’une parcelle de grès vosgien : l’accompagnement technique s’avère capital.

Entre recherche et observation de terrain : que disent les études récentes ?

Des chercheurs français et européens ont comparé les impacts de l’enherbement sur la biodiversité viti-vinicole :

  • La méta-analyse conduite par INRAE (García et al., Agriculture, Ecosystems & Environment, 2018) sur 25 ans de données en grand vignoble d’Europe montre qu’enherbement et haies renforcent la présence d’oiseaux insectivores, utiles contre la pyrale. Plus de 35 espèces d’oiseaux recensées dans les vignes enherbées contre 16 à 20 sinon.
  • Une étude suisse (FiBL, 2020) met en avant une augmentation jusqu’à 30% de la biomasse d’arthropodes (insectes, acariens, araignées) dans ces systèmes, liée à l’hétérogénéité du couvert végétal.
  • Les suivis menés par la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux) sur plusieurs vignobles alsaciens entre 2017 et 2022 révèlent le retour localisé d’espèces “bioindicatrices” comme la huppe fasciée, absente des parcelles désherbées chimiquement, mais observée dans les zones enherbées semées de vivaces et riches en insectes.

Tous ces résultats convergent : l’enherbement bien piloté, allié à d’autres infrastructures écologiques (haies, mares, murets, arbres isolés), transforme la vigne en un véritable corridor de biodiversité.

Le regard du vigneron : pratiques, astuces et écueils

Les témoignages de terrain confirment l’intérêt de la démarche, mais pointent la nécessité d’apprendre de son “écosystème maison”. Quelques pistes fréquemment citées par les vignerons alsaciens :

  • Semer des couverts variés, en mélange, permet de répondre à plusieurs objectifs : nourrir le sol, attirer les pollinisateurs et limiter la concurrence avec la vigne.
  • Laisser fleurir une bande sur deux favorise la progression des insectes utiles sans gêner la mécanisation ni la concurrence pour la vigne.
  • Favoriser une alternance entre fauches précoces (pour éviter la montée en graines de certaines adventices) et fauches tardives pour prolonger la ressource nectarifère.
  • Éviter l’enherbement complet les toutes premières années d’implantation du vignoble, période pendant laquelle la vigne doit s’installer solidement.

Un conseil qui revient souvent : il ne s’agit pas de “verdir” par principe, mais d’intégrer l’enherbement comme composante évolutive d’une gestion globale du vivant.

Quels leviers pour aller plus loin ? De l’enherbement à la régénération globale

Dans le contexte des changements climatiques, l’évolution des pratiques viticoles doit s’inscrire dans une vision plus large que la seule question des “herbes dans les rangs”. Pistes d’innovation et de complémentarité à explorer :

  • Valoriser la complémentarité plantes-arbres-vig​nes : l’intégration de petits fruitiers ou d’arbustes dans les interrangs constitue un levier supplémentaire pour abriter wild life, fixer du carbone et tamponner les effets de la chaleur.
  • Développer des couloirs écologiques entre parcelles : coordination entre voisins pour étendre l’effet positif de l’enherbement à l’échelle du paysage, et non de la seule exploitation.
  • Suivre et documenter les effets : l’utilisation d’outils de science participative (comme les protocoles “VitiBiodiv” ou “Sauvages de ma rue”) permet d’objectiver ses résultats, de progresser et de convaincre les plus réticents.

Certains domaines engagés en Alsace créent ainsi de véritables mosaïques de milieux ouverts, lisérés fleuris, bosquets, prairies, dans une logique globale. Cela ouvre la voie à une viticulture régénératrice, enracinée dans la réalité des sols et du climat local.

Enherber pour demain : précautions, nuances… et engagement écologique

L’enherbement dans le vignoble alsacien représente un levier réel pour stimuler la biodiversité, sous réserve d’une gestion fine et adaptée. Les gains sont indéniables : retour des auxiliaires, augmentation de la diversité floristique, résilience des écosystèmes face aux aléas climatiques. Mais il exige adaptation, observation et parfois compromis pour rester compatible avec la productivité et la pérennité de la vigne. A l’heure où la préservation du vivant dans nos terroirs n’est plus une option mais une urgence, chaque parcelle enherbée façonne, à sa mesure, le paysage et l’avenir de la viticulture alsacienne. La biodiversité s’invite ainsi au cœur de nos pratiques – et elle a encore beaucoup à nous enseigner !

Pour aller plus loin :

  • Institut Français de la Vigne et du Vin : Enherbement et biodiversité
  • INRAE : Rapport “Valorisation de l’agroécologie en viticulture”, 2020
  • Chambre d’Agriculture d’Alsace: Guide “Gérer les interrangs en viticulture biologique”, 2023
  • LPO Alsace: Bilan biodiversité Grand Est (2017-2022)

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