Vignes en harmonie : la viticulture bio, rempart essentiel pour la biodiversité

4 août 2025

Pourquoi la question de la biodiversité s’invite dans nos verres

Véritable toile de vie, la biodiversité ne se limite pas à une succession de plantes et d’animaux : c’est l'ensemble foisonnant d’interactions entre les êtres vivants, les sols, l’eau, le climat. Un vignoble vit de cet équilibre, parfois fragile, souvent invisible. Depuis plusieurs décennies, la viticulture dite « conventionnelle » a bouleversé l’échiquier par l’usage massif de substances phytosanitaires, la monoculture et l’urbanisation croissante des campagnes alsaciennes. Résultat : une chute drastique d’espèces sur — et sous — la vigne. Selon un rapport de l’INRAE publié en 2023, un sol de vigne conventionnel héberge en moyenne six fois moins de vers de terre que son équivalent bio (source : INRAE, 2023). Or, l’indicateur du vivant ne se lit pas qu'à la surface des feuilles.

La question n’est donc pas anecdotique : le maintien de la biodiversité fait pencher la balance de tout un terroir, conditionnant la santé de la vigne, la qualité du vin… et le sort d’un paysage vivant.

La viticulture bio : de la pratique à l'impact sur le vivant

La viticulture biologique ne se contente pas d'exclure les intrants de synthèse. Sa démarche vise à recréer, puis maintenir, un équilibre naturel complexe, soutenant la vigueur de la vigne tout en laissant place à une communauté d'espèces cohabitant sur la parcelle.

Des sols vivants, fondations de la biodiversité

  • Travail du sol plutôt qu’herbicides : En bio, l’interdiction des désherbants chimiques implique un retour à des pratiques mécaniques – binage, griffage, paillage – et le maintien d’un couvert végétal spontané ou semé. Résultat : des interactions souterraines multiples. Un sol enherbé abrite jusqu’à 400% plus d’espèces de micro-organismes que les rangs nus d’un vignoble conventionnel (source : OIV, 2021).
  • Retour de l'activité biologique : Bactéries, champignons, nématodes, collemboles et lombrics contribuent à la structure du sol, limitent l’érosion et stimulent l’absorption des éléments nutritifs. La diversité souterraine est la première alliée d’une vigne résiliente.
  • Moins de tassement et d’érosion : La suppression des passages de tracteurs pour traitements chimiques et l’enracinement d’une flore variée réduisent le compactage du sol. D’après l’INRAE, une parcelle bio perd 70% de moins de terre par érosion que son équivalent conventionnel sur pente équivalente.

Vie végétale : entre flore spontanée et couverts choisis

  • Pratiques de l’enherbement : Alternance entre semis de légumineuses (trèfle, vesce, lotier…) et flores locales spontanées. Ces plantes fixent l’azote, améliorent la structure du sol, attirent les pollinisateurs et ralentissent la propagation de pathogènes. En Alsace, certains vignerons bio recensent plus de 50 espèces végétales différentes par parcelle, contre moins de 15 en conventionnel (source : Observatoire Français de la Biodiversité).
  • Tolérance aux « mauvaises herbes » : Ce qui est qualifié de « mauvaise herbe » laisse place à une mosaïque favorable aux insectes auxiliaires indispensables à la vigne – coccinelles, syrphes, carabes.

Hôtes de la vigne : un refuge pour la faune

  • De retour entre les rangs : Perdreaux, lièvres, hérissons, abeilles sauvages et même lézards trouvent abri et nourriture dans les haies, les murets, les tas de bois ou de pierre laissés à dessein dans ou à la marge de la parcelle.
  • Auxiliaires de lutte naturelle : En bio, sans insecticides, c’est une armée discrète qui régule spontanément les populations de ravageurs : mésanges contre les vers de la grappe, araignées et chrysopes contre les pucerons.

D’après une étude relayée par Agence France Presse (AFP), un vignoble bio accueille en moyenne 30 % d’espèces d’oiseaux de plus que son voisin conventionnel. Une chanson de plus dans les vignes.

Des chiffres et des faits : la biodiversité, observée et mesurée

  • Vers de terre : Entre 200 000 et 400 000 individus par hectare dans une vigne bio, contre moins de 70 000 dans une vigne conventionnelle (INRAE, 2023).
  • Pollinisateurs : En zone viticole alsacienne, l’Observatoire Agricole de la Biodiversité a comptabilisé jusqu’à 2,8 fois plus d’espèces d’abeilles solitaires sur une parcelle bio munie de bandes fleuries.
  • Champignons mycorhiziens : Ces alliés de la vigne, qui améliorent l’accès à l’eau, sont présents dans près de 70 % des échantillons de sols bio, contre 33 % seulement dans ceux issus de l’agriculture conventionnelle (OIV, 2021).

Ce sont là des indicateurs fondamentaux pour juger de la santé globale du vignoble et prédire sa résilience face aux aléas.

Zoom sur les leviers de la viticulture bio

Favoriser la mosaïque de paysages

  • Haies, arbres et murets : Création ou maintien de micro-habitats qui freinent le vent, retiennent l’eau, offrent un gîte à la petite faune, et peuvent même réguler certains bioagresseurs grâce à la diversité des espèces accueillies.
  • Bandes fleuries et jachères : Semées dans ou autour des vignes, elles attirent pollinisateurs et insectes auxiliaires. Selon la Chambre d’Agriculture d’Alsace, ces bandes permettent de tripler la population de coccinelles et syrphes sur une saison.

Rotation et polyculture : un retour d’expérience bénéfique

  • Associations de cultures : Là où la place le permet, certains domaines bio alsaciens réintroduisent arbres fruitiers, céréales ou pâturages en périphérie ou intercalaires. Cela enrichit la palette végétale et rompt le cycle des parasites spécifiques à la vigne.
  • Pâturage hivernal : Quelques moutons, chèvres ou volailles en hiver limitent l’enherbement, fertilisent naturellement et fragmentent les cycles de pathogènes.

Diminution nette des résidus polluants

  • Absence de biocides persistants : L’interdiction des insecticides et fongicides de synthèse en bio contribue à la survie des insectes, champignons non pathogènes et oiseaux, mais aussi à la préservation des nappes phréatiques utilisées pour la vie sauvage alentour.
  • Moins de sulfatage intensif : Même le cuivre, utilisé en bio contre le mildiou, fait l’objet d’usages mesurés grâce aux avancées en biocontrôle (réduction des doses autorisées : < 4 kg/ha/an depuis 2019 en Europe, source : règlement UE).

Biodiversité : un atout pour la vigne bio… et le vin

Plus qu’une valeur écologique, la biodiversité concrète influe directement sur la santé des plants et la typicité des vins :

  • Résistance accrue aux maladies : Plantes en bonne santé et faune auxiliaire abondante permettent à la vigne de se défendre naturellement.
  • Moindre dépendance aux intrants : La richesse des sols et l’équilibre écologique soulignent le potentiel de vieillissement du vin et son expression de terroir.

Des dégustations menées en 2022 par l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin) montrent que les vins bio issus de parcelles à haute diversité présentent, en moyenne, une complexité aromatique supérieure de 24 % par rapport à des lots issus de monocultures intensives.

Vers une viticulture alsacienne bio comme refuge du vivant ?

En Alsace, la bio représente aujourd’hui près de 26 % des surfaces viticoles, largement au-dessus de la moyenne nationale (source : Agence Bio, 2023). Beaucoup de vignerons et vigneronnes peinent encore à franchir le seuil du passage, freinés par les exigences et l’investissement de ce mode de production. Mais le résultat se lit dans la renaissance d’un vignoble vivant : haies bruissantes, sols souples quand on y enfonce la main, chants d’oiseaux au petit matin.

Coeur battant d’un patrimoine naturel fragile, la vigne bio d’aujourd’hui devient le conservatoire d’une biodiversité menacée ailleurs dans les plaines agricoles. Le chemin, sans être parfait, ne cesse d’évoluer, à la croisée de la science et de l’observation de terrain.

L’avenir du vin alsacien dépendra de cette capacité à faire du vignoble un espace de diversité, de dialogue entre l’homme et son environnement. Un défi pour les années à venir, et une aventure à poursuivre, rang après rang.

En savoir plus à ce sujet :