Comprendre le dynamisme du bio en Alsace : entre traditions, chiffres et engagements

13 juillet 2025

Le bio alsacien : état des lieux en 2024

L’Alsace figure aujourd’hui en 6 position des régions françaises pour la surface agricole certifiée en bio, un classement qui étonne quand on songe à la taille modérée de son territoire. Selon l’Agence Bio, à fin 2023, un peu plus de 28 000 hectares (Source : Agence Bio) y étaient cultivés en agriculture biologique, ce qui représente près de 17 % de la SAU (Surface Agricole Utile) régionale. C’est deux fois la moyenne nationale sur le plan du pourcentage.

Mais pourquoi l’Alsace se hisse-t-elle ainsi dans le peloton de tête, juste derrière des régions comme l’Occitanie, la Nouvelle-Aquitaine ou Auvergne-Rhône-Alpes, alors même qu’elle reste davantage associée à son vignoble qu’à d’immenses plaines agricoles ? Regardons cela en détail.

Une tradition de diversité et d’attachement au terroir

Petite par la taille, l’Alsace est grande par la complexité de ses paysages : champs, forêts, prairies, vergers, et bien sûr la vigne, qui dessine la carte d’un terroir morcelé, vivant, parfois accidenté, toujours exigeant. Cette diversité a forgé une habitude : travailler à petite échelle, valoriser la polyculture, miser sur la qualité, garder un lien étroit avec le sol et la biodiversité. Tous ces réflexes, profondément ancrés, préparaient le terrain pour une agriculture biologique bien avant le “label”.

Fait à souligner : en 1958, l’Institut pour une agriculture biologique (IBA) voit le jour à Colmar, soit plus de trente ans avant la réglementation européenne sur le bio ! On oublie trop souvent ce pionnier, qui témoigne d’un long compagnonnage avec l’expérimentation bio dans la région (Source : Bio Grand Est).

Un vignoble moteur : l’impulsion des vignerons alsaciens

Impossible de parler de bio en Alsace sans mentionner le rôle central des vigneron·nes. Plus de 35 % du vignoble régional était en bio ou conversion en 2023 (Source : Interbio Grand Est), soit la plus forte proportion parmi tous les vignobles majeurs français. Certains villages – Beblenheim, Mittelbergheim, Ammerschwihr – dépassent même les 50 % de surfaces certifiées, ce qui reste sans égal ailleurs.

  • Le chemin déjà parcouru : dès le début des années 1970, des familles comme les Humbrecht, Frick, Kreydenweiss ou Ginglinger entament la conversion en bio, voire en biodynamie, à une époque où cela faisait sourire leurs pairs.
  • Une biodynamie très implantée : aujourd’hui, plus de 10 % des domaines travaillent selon les principes Demeter ou Biodyvin, misant sur la vitalité des sols et la finesse des vins.

L’élan collectif est porté par la culture du partage : groupes d’entraide entre vignerons, formations, expérimentations de terrain, et un solide réseau de syndicats et d’associations (OPABA, Synvira, Interbio Grand Est…).

Facteurs clés : climat, paysage, taille des exploitations

Le climat semi-continental, l’un des plus secs de France, joue en faveur de la culture biologique. Moins de pluie (Colmar compte en moyenne 530 mm par an, soit presque 40 % de moins que Bordeaux), donc moins de pression des maladies cryptogamiques comme le mildiou. Cela ne signifie pas l’absence de difficultés, mais le terrain est moins hostile à la conversion que sous des latitudes plus humides.

Autre atout : la structure même des fermes et domaines. En Alsace, la taille moyenne des exploitations bio reste inférieur à 25 hectares. Ce morcellement favorise la diversification, et permet de s’adapter finement au passage en bio, contrairement aux grandes exploitations céréalières des plaines du nord.

  • La polyculture-élevage reste vivace dans le bassin rhénan.
  • Nombre de maraîchers et arboriculteurs bio exploitent moins de 10 hectares.
  • Plus de la moitié des producteurs bio alsaciens livrent leurs produits en vente directe, souvent via les marchés, AMAP ou magasins spécialisés (Agence Bio 2024).

L’appui des consommateurs et acteurs locaux

Le bio séduit en Alsace, et pas seulement à la table familiale. Les chiffres de la consommation locale l’attestent : selon Interbio Grand Est, près de 70 % des Alsaciens déclarent acheter des produits bio au moins une fois par mois, six points de plus que la moyenne nationale. Cette appétence s’explique : sensibilisation à l’environnement, culture du “bien manger”, réseaux de consommateurs actifs (marchés, associations de paniers, groupements d’achat privatif).

Côté restauration collective, les initiatives régionales jouent un rôle moteur, la Collectivité européenne d’Alsace ayant fixé dès 2020 des objectifs ambitieux en faveur du bio dans les cantines (20 % à l’horizon 2022, objectif atteint – Source : Collectivité européenne d’Alsace).

Un maillage associatif et institutionnel solide

Depuis des décennies, l’Alsace bénéficie d’un tissu associatif pionnier, rare en France. L’OPABA (Organisation Professionnelle de l’Agriculture Biologique en Alsace), les CIVAM bio et Interbio Grand Est proposent formations, conseils et relais commerciaux à la centaine de nouveaux porteurs de projets chaque année.

Cet encadrement contribue à la longévité du secteur : on compte moins de retours en arrière (déconversion au conventionnel) dans le vignoble et le maraîchage bio alsaciens que dans la plupart des autres régions (Source : Ministère de la Transition Écologique).

Un défi : la bio ne se limite pas à la vigne

Si le vignoble tire la dynamique, d’autres filières bio se sont consolidées : le maraîchage, les grandes cultures (blé, sarrasin, colza), l’arboriculture (pommes, mirabelles, cerises), la production laitière et même la houblonnière. Aujourd’hui, 35 % des exploitations de fruits régionaux sont certifiées bio, un chiffre quatre fois supérieur à 2010 (Source : DRAAF Grand Est).

Le secteur demeure porteur malgré la crise agricole de 2022–24, preuve d’une volonté profonde d’aller vers le “moins mais mieux”, comme l’exprime la part croissante de fermes en circuits courts.

Impression d’ensemble : l’énergie d’un territoire engagé

L’essor bio en Alsace ne s’explique pas par un seul facteur, mais bien par un faisceau de causes : tradition du terroir, petits lots et diversité, engagement de vignerons pionniers, climat propice, tissu associatif et impulsion des consommateurs.

L’Alsace démontre qu’il n’est pas nécessaire d’être une grande région céréalière ou viticole pour figurer dans le top du bio. C’est avant tout la force du collectif, l’ancrage dans le territoire et la capacité à expérimenter, oser, et partager qui font la différence. Voilà pourquoi le bio ici s’enracine et continue d’inspirer ailleurs.

Pour aller plus loin, on peut consulter le dernier rapport de l’Agence Bio (lien ici), les données régionales DRAAF Grand Est, ou encore pousser la porte d’un domaine pour échanger avec les hommes et femmes du vivant.

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