Décrypter la fertilité des sols viticoles après plusieurs années d’enherbement et de compost

12 octobre 2025

Pourquoi parler de fertilité en sol viticole ?

En viticulture biologique, la fertilité ne se résume pas à la capacité du sol à nourrir les vignes. Il s’agit d’un équilibre subtil entre structure, activité biologique, réserve minérale et capacité à réguler l’eau. L’objectif n’est pas de “gaver” la vigne, mais de favoriser une croissance régulière, une bonne résistance au stress, et, in fine, un vin plus expressif du terroir. Selon l’INRAE, la vitalité biologique du sol influence jusqu’à 40 % de la résistance de la plante aux maladies cryptogamiques (source : INRAE, 2020).

Les impacts de l’enherbement et du compost : que mesure-t-on ?

L’enherbement (implantation volontaire d’espèces herbacées entre les rangs) et les apports de compost sont deux leviers phares pour revitaliser les sols. Ils modifient en profondeur la structure du sol, la disponibilité des éléments minéraux, mais surtout la vie microbienne et faunistique :

  • Augmentation de la matière organique : 10 ans d’enherbement permanent peuvent permettre, en moyenne, un gain de 0,2 à 0,4 % de carbone total dans les 20 premiers cm du sol viticole (source : Chambre d’Agriculture d’Alsace, 2018).
  • Amélioration de la porosité et de la vie du sol : l’enherbement stimule l’activité lombricienne, qui remonte parfois à plus de 300 individus/m sur une parcelle gérée en bio-longue durée, contre moins de 70 pour une vigne désherbée (source : ITAB, 2021).
  • Compost : efficace sur le relargage d’éléments minéraux (azote, potassium), mais son effet “boost” sur la structure s’estompe si les apports ne sont pas réguliers et adaptés au sol.

Outils concrets pour diagnostiquer la fertilité après plusieurs années d’enherbement ou de compost

1. Analyses de sol en laboratoire : à quoi sont-elles réellement utiles ?

L’analyse de sol reste un pilier du diagnostic. Voici les paramètres essentiels à surveiller, en intégrant l’ancienneté de l’enherbement ou des apports :

  • Matière organique (MO) : Les agronomes estiment qu’un sol viticole sain doit dépasser 2 % de MO (norme alsacienne, source Chambre d’Agriculture Alsace), mais l’expérience montre des hausses régulières jusqu'à 3,5 % en bio dynamique de longue durée.
  • pH : L’enherbement permanent peut acidifier légèrement le sol (baisse de 0,1 à 0,3 point sur 8-10 ans selon les espèces implantées), alors que des composts riches en calcium rééquilibrent parfois le pH. Des ajustements par chaux sont parfois nécessaires.
  • C/N (rapport carbone/azote) : Un rapport idéal se situe entre 10 et 12. Un C/N élevé (> 12) traduit souvent une accumulation de MO difficile à dégrader, freinant la libération rapide d’azote minéral. Cela arrive sur des parcelles très enherbées sans pâturage ni broyage régulier.
  • Disponibilité du phosphore et du potassium : Les réponses à l'enherbement sont variables, mais une baisse du phosphore assimilable est commune si on ne compense pas avec des amendements organiques adaptés.

À compléter tous les 3 à 5 ans pour suivre les évolutions, idéalement aux mêmes endroits.

2. Test bêche et profils de sol : la vitalité sous vos pieds

Rien de tel qu’un profil ouvert à la bêche pour mesurer la vitalité concrète. Voici ce qui attire l’œil d’un expert du sol après des années de gestion bio :

  • Présence de racines profondes et fines, témoignant d’une bonne aération et d’une structure stable.
  • Granulométrie : la capacité du sol à “s’émietter” en blocs souples, non collants ni compacts, signe de l’activité biologique.
  • Faune visible : lombrics, coléoptères, larves, microfaune abondante, indices d’une chaîne alimentaire dynamique.

En Alsace, on note que sur des terroirs enherbés depuis plus de 8 ans, le nombre de galeries de vers est multiplié par 4 en moyenne (source : Stratégies Sols & Vigne, IFV 2019).

3. Observation de la vigne et des plantes adventices : messagères du sol

  • Vigueur de la vigne : Une croissance régulière, mais ni exubérante ni chétive, traduit un équilibre. Les excès d’azote minéral post-compost sont parfois visibles par un feuillage trop foncé ou une sensibilité accrue au mildiou.
  • Floraison des couverts : Les espèces nitrophiles comme le rumex, l’ortie ou le chénopode signalent parfois des excès d’azote, souvent après plusieurs années de compost.
  • Graminées et légumineuses : Leur place croissante dans le couvert traduit la disponibilité progressive du potassium, du phosphore et surtout de l’azote organique.

Sols vivants : vers une évaluation paysanne et écologique

La fertilité réelle ne se limite pas à un chiffre ni à un graphique. L’expérience de terrain et le dialogue constant avec le sol créent une véritable grille de lecture “paysanne” et écologique :

  • Essai du boudin : Malaxer une poignée de terre humide. Un sol fertile forme un “boudin” qui se tient sans s’effriter ni coller, révélant porosité et bonne teneur en argile-humus.
  • Test du goutte-à-goutte : Déposer quelques gouttes d’eau sur une motte sèche. Sur un sol riche en humus, l’eau s’infiltre très vite, révélant la porosité. Sur un sol “lessivé” malgré du compost, l’eau roule en surface.
  • Écoute du sol : Après une pluie d’été, approchez l’oreille de la terre fraîchement bêchée. Les “crépitements” témoignent de la présence de microfaune active.

Ces pratiques, souvent transmises par les anciens, se combinent idéalement avec les analyses scientifiques pour un diagnostic complet et nuancé.

Point-clé : attention aux dérives et à la sur-fertilisation organique

Même les apports naturels ou l’enherbement peuvent générer des déséquilibres. Les erreurs les plus courantes :

  • Compost apporté sans adaptation à la couverture végétale : cela peut engendrer une poussée végétative trop forte, favorisant la dilution des raisins et la chlorose.
  • Enherbement permanent mal géré : sur sols pauvres, il peut accentuer la concurrence pour l’eau lors des années sèches et réduire la vigueur de la vigne (source : CIVC, 2018).
  • Risque d’eutrophisation : L’application répétée de composts riches peut entraîner des lessivages de nitrates et de phosphates, notamment en fin de saison.

Vers une évaluation plus globale : biodiversité, carbone et résilience climatique

Les méthodes d’évaluation de la fertilité évoluent au fil des avancées scientifiques et des nouvelles attentes des vignerons. Outre la matière organique ou les analyses chimiques, il faut désormais compter avec :

  • Stockage de carbone : l’initiative “4 pour 1000”, dont plusieurs domaines alsaciens sont engagés, vise à augmenter de 0,4 % par an la quantité de carbone organique dans les sols pour lutter contre le changement climatique. Après 5 années d’enherbement, beaucoup de vignes montrent déjà une stabilité, voire une hausse de la séquestration de carbone à hauteur de 100 à 150 kg C/ha/an (source : InfoSol, 2017).
  • Indice de biodiversité floristique : la richesse en espèces végétales entre les rangs, mesurée par des protocoles comme BAOBAB ou Observatoire Agricole de la Biodiversité, renseigne sur la santé globale du sol et sa résilience face aux stress climatiques.
  • Rétention en eau et résilience : Des essais ARAE montrent que le taux d’infiltration de l’eau peut doubler après 5 à 7 ans de gestion bio-intégrée, point majeur pour affronter la multiplication des épisodes de sécheresse estivale dans le vignoble alsacien (source : Agrosolutions, 2022).

Aller plus loin : conseils pour l’observation régulière et la gestion adaptative

La fertilité d’un sol n’est pas un état figé, c’est un équilibre à surveiller, cultiver, ajuster. Pour un diagnostic vivant et pertinent :

  • Alterner les diagnostics : croiser les analyses de sol, les tests au champ, l’observation du comportement de la vigne et le suivi de la biodiversité.
  • Garder la mémoire des interventions : conserver une traçabilité des enherbements et des apports facilite l’interprétation des évolutions du sol.
  • Former et sensibiliser les équipes à la lecture du sol : un œil exercé détecte les signaux faibles qui pourraient échapper à une simple analyse.

Aujourd’hui, comprendre la fertilité après enherbement ou compost, c’est accepter de dialoguer avec une terre vivante, riche en nuances, et de revisiter sans cesse nos pratiques. La réussite se mesure autant à la vigueur maîtrisée de la vigne qu’à la richesse d’un sol capable, année après année, de faire naître des vins fidèles à leur terroir.

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